Regards croisés sur l’immonde dans l’oeuvre du Zhuangzi et de Georges Bataille

Présentée par Marion Avarguès, doctorante de philosophie à l’Université de Montréal

Nous nous proposons de dévoiler la profonde intimité que partagent
les philosophies du Zhuangzi, une oeuvre taoïste de la Chine antique, et de Georges Bataille.
Car, bien qu’elles aient été pensées dans des temps et des espace considérablement différents (et, a priori, inconciliables), elles révèlent toutefois une profusion de convergences, dont, notamment, une extrême fascination pour l’immonde.

Afin de mettre en lumière l’étroite corrélation de ces philosophies à
l’égard de cette fascination, nous prendrons comme point de départ
le constat de leur imaginaire tant débridé que débordant vis-à-vis du difforme. Nous nous pencherons, plus précisément, sur leur aspiration à faire entrelacer ce débordement du difforme avec la critique – houleuse – de la morale.

Nous verrons en effet que si, d’une part, le Zhuangzi ne cesse de mettre en scène des personnages hideux, cette mise en scène va toujours de pair avec la valorisation de l’immonde. Or, cette valorisation manifeste son désir de renverser la norme confucéenne qui condamne la difformité au nom d’une complétude entre le corps et la moralité. D’une façon analogue, si Georges Bataille, d’un ton
presque narquois, fait dire à une prostituée, dont le corps est tant attirant que dégoutant, car aussi saint que souillé, « Je suis Dieu », c’est avant tout pour faire un pied de nez à la morale
chrétienne et kantienne. Tous deux se rejoignent ainsi sur la culbute de la morale et en particulier sur l’acharnement à forcer la porte de la morale pour y faire entrer l’immonde, ou, tout bonnement, sur la volonté de la terrasser. Tous deux, en ce sens, délivrent un imaginaire se déployant par delà bien et mal. Nous nous concentrons enfin sur le caractère mystique de l’immonde : nous commencerons par jeter la lumière sur l’horizon mystique du Zhuangzi et de Georges Bataille, soit d’harmonisation de soi, via la dissolution de l’ego, avec la totalité des choses. Puis, nous préciserons en quoi l’imaginaire de la difformité s’inscrit, de part et d’autre, dans la condition d’atteinte de cet horizon.