Le mécanicien
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Samedi 29 septembre 2012
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Le déchiqueté, le tronçonné, l’infect…
J’avais ressenti ce malaise une première fois en Pologne, alors que mon groupe d’amis se préparait à visiter les camps de la mort; je ne savais pas pourquoi, mais je préférais rester à l’hôtel. Puis, à New York, même sentiment devant le cratère de Ground Zero, cerné par une masse de touristes faufilant leurs appareils entre les grilles pour prendre en photo le stigmate de la tragédie. À Berlin, j’ai vu des dizaines de personnes introduire leurs index dans des trous de balle. J’ai souvent l’impression qu’en racontant une histoire, on veut exercer cette même fascination, alors qu’on tente de transporter le spectateur en plein cœur du « terrible ». Et si en plus l’auteur a réellement vécu ce qu’il raconte, l’effet est décuplé – Ce ne sont plus des chimères, c’est un témoignage : un pont entre l’horreur et moi.
C’est peut-être une forme de pudeur qui me gêne, comme s’il s’agissait d’une pornographie de la douleur. Si l’objet du peep-show est connu, quel est celui du spectacle de la souffrance ? Quel vide cherchons-nous à combler en consommant les plaies des autres ? C’est cette fascination propre à notre société épargnée – Wajdi Mouawad a même parlé de « pays monstrueusement en paix » – que j’ai voulu questionner avec l’écriture du Mécanicien.
Un couple rentre à la maison après s’être fait raconter une histoire qui l’a plongé au cœur de l’horreur. Le temps d’une visite au garage, l’horreur ne se trouvait plus de l’autre côté d’un écran, mais juste là, devant eux. L’huile sur les mains du mécanicien, après tout, n’était-ce pas des taches de sang ? Elle et lui voudraient reprendre le manège de leur quotidien, mais comme malgré eux, ils réactivent sans arrêt ce qu’ils ont ressenti pour s’approcher un peu plus de l’étrange objet de leur désir. Surgit dans leur cuisine le verso de leur monde confortable : le déchiqueté, le tronçonné, l’infect…
Guillaume Corbeil